Création #77
"Königin der Nacht"
Fibres nobles et d'exception
Mai 2022
Cette création présentée pour la première fois au salon Révélations 2022 au Grand Palais Éphémère à Paris est la transcription tissée du premier mouvement de l’Air de la Reine de la Nuit (second aria – “Der Hölle Rache…”) de la Flûte Enchantée de W. A. Mozart.
Cette pièce aux dimensions généreuses a été conçue pour mettre en lumière l’étendue de la palette visuelle et sensorielle offerte par les fibres animales, ainsi que pour valoriser l’extraordinaire richesse des motifs rendus possibles par la technique du tissage.
Dans cette composition, 16 types de fils nobles et autant de motifs cohabitent pour créer une pièce ample et puissante, en écho au chant orageux de la Reine de la Nuit de Mozart.
Découvrez ici les clés de lecture de cette création, ainsi que les étapes de sa conception.
LE MOTIF
Encodages – Code Morse
Dans la largeur de l’étoffe, l’orientation des diagonales du motif dans les nuances bleu nuit et brun sombre dessine des colonnes plus ou moins larges : ces rythmes sont ceux du code Morse, succession de signes brefs (•) et longs (—), que l’étoffe adopte pour encoder le mot “NACHT” (“Nuit” en allemand) :
N A C H T
— • / • — / — • — • / • • • • / —
Les colonnes fines ont la valeur du • et les colonnes larges celles du — ; chaque lettre est figurée par une nuance de bleu nuit ou de brun.
Encodages – Musique
La mélodie de l’air de la Reine de la Nuit (“Der Hölle Rache…”) se déroule dans la longueur de l’étoffe, chaque note représentée à la fois par une matière différente et par un motif différent, le tissage suivant le rythme de la composition : l’étoffe est devenue partition.
Dans la transcription tissée de cet air, chaque note est traduite par une matière différente, ainsi que par un motif différent.
L’Atelier Le Traon mène un travail important de recherche et d’exploration des fibres animales, riches d’une infinité de sensations et d’histoires. Selon le terroir, la race de l’animal, le mode de filature, chaque fibre aura une une personnalité propre, que le travail de l’Atelier cherche à mettre en valeur.
Retrouvez ici la correspondance entre les notes, les matières et les motifs.
Au début de l’étoffe est tissée une sorte de cartouche ayant valeur de Clé de Sol : entre deux colonnes bleu nuit, couleur utilisée dans la “partition” pour figurer les silences et soupirs, chaque note est représentée par deux ou trois fils de sa matière ; les matières sont organisées dans l’ordre de la gamme. Pour se repérer, la note Sol est représentée avec une bande plus large que les autres (ici, en bas de l’image, un fil de duvet de yak filé en France dans la Creuse).
Les altérations (dièse, bémol) sont représentés par l’utilisation de fils alternés des deux notes pleines adjacentes : dans cette création, le Si bémol est ainsi représenté par l’alternance d’un fil d’alpaga (le Si) et d’un fil de cachemire peigné (le La).
A ses bordures, la création porte la signature textile d’Atelier Le Traon en coton brun et bleu.
LA RÉALISATION
Ourdissage
Préparation des fils de chaîne, qui seront fixés ensuite sur le métier à tisser. Ce seront les fils verticaux, entre lesquels passeront les fils de trame horizontaux.
Les fils sont organisés dans un ordre précis pour pouvoir composer le message en largeur : NACHT
Passage en lisses et en peigne
Une fois enroulés sur le métier à tisser, les fils de chaîne sont passés un par un par les maillons (les lisses) qui les relient aux cadres du métier. Pendant le tissage, ces cadres seront successivement levés et abaissés pour pouvoir introduire les fils de trame entre les fils de chaîne.
Les quelque 540 fils de chaîne du projet sont passés un par un dans les maillons des cadres, dans un ordre précis dont dépendra le motif, comme dans le projet comparable ci-dessous :
Les 540 fils sont ensuite passés entre les dents du peigne qui permettra de tasser les fils de trame introduits grâce à la navette. Une fois passés, les fils seront attachés, la tension ajustée, et le tissage pourra débuter.
Tissage
Le tissage est une véritable danse, qui engage le corps, le coeur et l’esprit : dans une séquence précise commandée par le motif, les pieds actionnent les cadres supportant les fils de chaîne, entre lesquels la main introduit la navette portant le fil de trame.
Tombée de métier
A l’issue du tissage, la pièce est déroulée et ôtée du métier.
L’étoffe doit ensuite foulée (lavée et pétrie, massée) pour faire éclore les fibres et les faire se lier entre elles, donnant à l’étoffe sa “main” finale, douce et moelleuse.
Souvent négligée, mais pourtant indispensable pour donner à l’étoffe son caractère final propre, l’étape du foulage est un savoir-faire subtil très caractéristique du travail de l’Atelier Le Traon.
Pour finir…
L’étoffe n°77 “Königin der Nacht” se lit comme une véritable partition, à découvrir en écoutant la magnifique interprétation donnée par Diana Damrau.